Théâtre médiéval

Textes (3) :
  1. Les Envahisseurs Arrivent (Un paysan, pourchassé par des barbares, reste coincé derrière une porte)
  2. Mauvaise Tour : Mauvais Tour (parodie d'un prince charmant venant libérer sa belle)
  3. J'ai occis un Dragon  (dialogue comique entre un vaurien et un paladin, la ruse face à la vertu)



1-Les Envahisseurs arrivent !


Un paysan arrive en courant, paniqué, en jetant un coup d’œil derrière lui.
Il marque un temps  d’arrêt à mi-chemin de la porte de la forteresse, la voyant fermée.
Il s’exclame en reprenant sa course : Ouvrez vite, mes poursuivants peuvent arriver d’un moment à l’autre !

Le paysan se jette alors sur la porte, qu’il frappe à coups redoublés.
Devant l’absence de réponse, il s’écrit : Ouvrez donc ! …N’avez-vous aucune pitié pour l’un de vos frères resté à la merci de l’ennemi !

Une voix enraillé de garde fini par répondre du fond de son abri : Non !!

Le Paysan : Comment ça non ?

Le Garde : On ouvre plus, c’est tout.

Le Paysan : Ecoutez, j’étais parti chercher du bois lorsque les Envahisseurs ont surgi du fond des bois.
J’ai tout juste eu le temps de rejoindre les remparts en courant à bâton rompu…

Le Garde : Eh bien vous avez couru pour rien ! …On va pas risquer  nos vies pour un simple manant !

Le paysan s’effondre devant la porte en laissant glisser ses deux bras le long du bois ; et se retrouvant à genou se met à gémir. Il se prend la tête dans les mains au comble du désespoir.

Puis l’instinct de survie reprend le dessus. Il se retourne précipitamment pour voir l’avancée des envahisseurs.  Il perçoit le reflet métalliques de plusieurs casques en mouvement en contrebas de la bute.  Dans un frisson de terreur, il parvient à articuler : Ils arrivent !!! Les Vikings....sont la !!!

Le Paysan : Soyez maudit, si vous n’ouvrez pas immédiatement !

Le Garde : Cachez-vous pauvre diable ou fuyez ! C’est le seul ressort qui vous reste !

Toujours agenouillé, le dos à la porte, le paysan, dans une posture de prière se met à réciter un notre père à peine audible, en se signant machinalement plusieurs fois.
Puis il suffoque dans un dernier râle de haine, entendant des pas lourds se rapprocher : Puissent ces hordes de barbares déchaînées vous ramener en enfer !

Il continue alors ces prières, avec une ferveur frénétique, comme si sa dévotion religieuse allait le protéger des violents coups de haches des guerriers du nord en approche.
L’un de ces guerriers surgit soudain de la pente, les yeux plein de rage. Voyant le pitoyable paysan à terre, il entreprend de lui donner un puissant coup de pied dans le thorax, qui le projette en arrière contre la porte, et manque de le tuer sur le coup. Incapable de la moindre réaction, le pauvre homme se laisse soulever comme un fétu de paille par un bras musclé, tandis qu’un autre l’empale sauvagement avec son épée, à hauteur de ventre. Sa dépouille ensanglantée orne désormais la porte de chaîne, comme un témoin muet de la fureur des Vikings.

Le sac de la forteresse peut commencer…



2-Mauvaise tour : mauvais tour


  L’infortuné D’Armand veut retrouver sa promise, retenue par le Duc de Lingessal, dans l’une des tours de son château de Lanstelle. Même s’il est communément admis que les princesses emprisonnées se trouvent effectivement dans les tours ; le jeune homme au grand cœur mais aux bourses vides qui nous sert de héros, ignore laquelle.

  Sortant discrètement du couvert des bois, D’Armand entreprend l’ascension des remparts hauts d’une dizaine de mètres, avec une habileté déconcertante. Arrivé au sommet, il amorce une petite roulade élégante, rien que pour le style, qui s’achève gracieusement derrière un créneau ; et observe les deux gardes qui encadrent l’entrée de la tour. Notre escrimeur détache un morceau des pierres de mauvaise qualité qui composent la muraille, et le jette avec précision du côté opposé du chemin de ronde, à cinq mètres à peine des gardes. Cette brève diversion suffit au héros pour bondir de son abri, et en un éclair, atteindre le premier garde, distrait, qui n’a pas le temps de réagir avant qu’une poignée d’épée vienne percuter sa tête, avec une précision assommante. Animé par la rage du cœur, D’Armand surgit à la gauche du second garde qui venait juste de dégainer, lui assenant une petite touchette au bras droit savamment ajustée. Ainsi déstabilisé, l’homme d’arme ne tient que deux échanges, avant de se retrouver la cuisse perforée, puis d’être assommé à son tour galamment par une main experte.

Face à la porte, D’Armand clame d’une voix théâtrale : N’ayez crainte ma Dulcinée, le bras vengeur de mon amour vient vous délivrer de l’infâme emprise du Duc. Je vous prie succinctement d’ouvrir la porte de cette tour , afin que notre amour, enfin libéré, puisse s’épanouir dans l’air léger du printemps…Et que votre dignité ne souffre plus avant du confinement malsain de ses murs crasseux.

Une voix trop aigrie pour provenir d’une femme non-ménopausée lui répond, mi-figue mi-raisin : Ah ! Vous êtes une sorte de prince charmant ?

D’Armand : Un prince charmant, un chevalier servant, l’ange gardien de votre cœur !

La Vieille femme : Eh ben foutez-moi le camp alors ! J’en ai soupé des princes charmant !

D’Armand, perdant une partie de son élan verbal : Je crois qu’il y a méprise ma douce ; je ne voulais en rien vous importuner ; mon seul but est de vous libérer….et qu’est-il arrivé à votre auguste voix ? Elle semble plus âpre…

La Vieille femme : Elle a vieilli…comme le reste…à force d’attendre des beau-parleurs comme vous !

D’Armand, interloqué, réfléchit quelques instants, en effectuant plusieurs va et vient face à la porte. Il s’exclame enfin : Ah j’y suis ! Quelqu’un vous a jeté un sort. Sans-doute cette vieille sorcière de Grima, jalouse qu’une telle opportunité s’offre à sa nièce. Eh bien sachez que je mettrais tout en œuvre pour la retrouver et la forcer à inverser les effets du sort !

La Vieille femme : Triple crétin, vous ne comprenez décidément rien à rien ! C’est de moi dont vous venez de parler ! Et je ne saurais tolérer davantage les quolibets d’un saltimbanque de votre espèce ! Allez donc retrouver votre si fabuleuse princesse à la tour sud ; vous allez vite vous apercevoir  qu’elle n’est pas plus charmante que vous. Débarrassez-nous donc le plancher avec votre jeune effrontée ; Lanstelle retrouvera peut-être un semblant de calme sans ses puérilités vulgaires ! Et ne revenez jamais !! Vous m’avez comprise ? Jamais !!

D’Armand, fortement embarrassé : Euh…oui Je crois qu’il y a méprise… J’ai du me tromper de tour…La tour sud vous avez dit ?....Bon bah je vous laisse Madame…Aux plaisirs…

La vieille Grima : Foutez-moi le camp !



3-J’ai occis un dragon


Un paladin, posté devant l’entrée d’une auberge, voit arriver un vaurien le sourire aux lèvres.

Le Paladin : Eh toi là-bas ! Oui toi ! Avec ton air benêt !

Le mécréant s’approche hésitant, mais manifestement toujours gai.

Le Paladin : J’entends bien savoir ce qui rend si joyeux un malfrat de ton espèce, alors que tu n’as pas encore franchit le seuil de la taverne ? D’habitude, les gredins dans ton genre, passent la tête basse devant moi ; ils ne retrouvent leur vil sourire, qu’une pinte de bière à la main, ou en cherchant les faveurs d’une ribaude.

Le Mécréant : Non Monseigneur, vous  vous méprenez ! J’apporte avec moi une nouvelle d’importance! Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé ?

Le Paladin : Non, en effet, c’est pour ça que tu vas me le dire ; sur le champ.

Le Mécréant : J’ai accompli un exploit que nul n’a égalé depuis des générations !

Le Paladin : Ah vraiment ; et quel est-il ?

Le Mécréant : Ma vie ne sera plus jamais la même après ça, s’en est fini de cette vie de misère et de vilipandage !

Le Paladin : Quoi ? Aurais-tu trouvé par mégarde un joyau égaré dans la poche d’un noble ?

Le Mécréant : Je finirais sûrement héros du Royaume ;  et dans le pire des cas conteur d’histoires extraordinaires.

Le Paladin : Outre le fait que ta vie m’importe peu , je la vois davantage finir sous la hache d’un bourreau. Mais qu’a-tu fait au juste ?

Le Mécréant : J’ai vaincu l’invincible. Je me suis battu vaillamment, et j’ai triomphé d’une des plus viles créatures qu’ait donné la terre.

Le Paladin : Vaillamment ? Ce mot sonne creux dans ta bouche. Il suffit de tes balivernes ! Dis-moi de quoi il retourne à la fin ; ou ma lame sacrée te déchargera de ce secret !

Le Mécréant : Euh oui, toutes mes excuses Monseigneur… eh bien pour être clair, j’ai…

Le Paladin : Parle !

Le Mécréant : …..En toute modestie, j’ai occis….un dragon.

Le jeune vaurien voit passer le visage du paladin du rouge au rose pâle en quelques secondes.

Le Paladin : Tu as occis un DRA-GON ?!

Le Mécréant, sentant une bouffée de fierté l’envahir : Oui, j’ai occis un dragon !!

Le Paladin se reprend : Quelle farce tu me joues là mécréant ? « Un dragon », sais-tu seulement de quoi tu parles ? Que toutes les foudres du ciel me traversent, si tu dis la vérité !

Le Paladin : Dis-moi, ce « dragon »,  n’était-il pas juché sur une pierre, se faisant doré l’échine au soleil ? Un lézard, en somme.

Le Mécréant : Non Monseigneur ; il faisait bien deux toises de longs, avec des écailles coriaces et des griffes acérées. Sa gueule, suppurante de pus, était garnie de dents tranchantes ; il aurait pu m’arracher la main, d’une simple morsure !

Le Paladin : ...Et puis-je savoir avec quel « glaive vengeur », as-tu occis la créature ?

Le Mécréant : Ce couteau.

Le Paladin : C’est absurde. Tu n’avais aucune allonge pour rester à distance du dragon, aucune armure pour te protéger de ces griffes ! Les Paladins sont spécialement entraînés et équipés pour faire face à de telles abominations.  Nous utilisons des épées bénies et des hallebardes forgées dans les meilleurs alliages, et les armures de plates les plus solides ! ...et toi tu prétends être venu à bout d’une de ces bêtes, armé d’un simple couteau de cuisine !  Qui de surcroit, a dû être dérobé dans un des cloaques crasseux des faubourgs.

Le Mécréant : l’exploit n’en est que plus incroyable !

Le Paladin : Incroyable, en effet ; c’est un beau tissu de mensonge. Je ne puis supporter plus longtemps ton insolence ; donnes-moi une preuve de ce que tu avances, ou je te livre aux geôliers !

Le Mécréant : Oui justement ! Attendez ;  je l’ai enveloppé dans un chiffon….là regardez ; j’ai récupéré sa patte !

Le Mécréant tend ce qui pourrait bien être une patte de reptile à l’homme d’arme.

Le Paladin : oui….intéressant….cela pourrait bien être un dragon. Pas de grande taille, mais….
..Et pourquoi n’avoir pas pris sa tête ;  c’est un bien meilleur trophée ?

Le Mécréant : Le couteau coupait trop mal ; je n’ai pas réussi….Mais, me croyez-vous à présent ?

Le Paladin : Quelle pitié, quelle déchéance ! Une légendaire créature conduite à trépas par le premier nigaud venu ! Les valeurs se perdent, vraiment. De toute façon ce n’était qu’un jeune. Et puis, il y a pire comme menace que les dragons : les mort-vivants et autres spectres qui hantent nos contrées. Des créatures sournoises qui se cachent dans l’ombre et pervertissent les âmes des honnêtes gens. Le dragon a au moins la courtoisie de t’affronter de face !

Le Mécréant : Sans doute oui ; ils sont certainement plus terribles…

Le Paladin : Peut-être qu’une de ces abominations se tapit dans la nuit à quelques enjambées ; sans que nous en sachions rien !

Le Mécréant : Euh oui ; je n’en doute point. Mais permettez-moi de rejoindre mes camarades de l’auberge ; j’ai fort à leur raconter !

Le Paladin : Non malandrin ! Garde donc cette histoire pour toi !

Le Mécréant : Mais, je ne puis passer sous silence un tel exploit !

Le Paladin : Et pourtant, il le faudra bien ; c’est moi qui suis censé m’occuper de tels monstres. Si  l’on apprend qu’un rebut s’est chargé de la tâche, ma réputation risque d’en pâtir.

Le Mécréant : Le poids de quelque argent pourrait empêcher ma langue de fourcher.

Le Paladin : Blasphémateur !  Truand ! Espère-tu corrompre un soldat de Dieu ?

Le Mécréant : Votre réputation vaut bien une pièce.

Le Paladin : Quelle ignominie ! C’est le créateur lui-même que tu insultes avec une telle offre !

Trahissant ces paroles, le Paladin, tend alors une pièce à contrecœur  au malfrat ; qu’il lâche cependant difficilement, comme s’il devait se défaire d’une bourse entière.

Le Mécréant : Merci Monseigneur ; vous constaterez que mon silence est d’or.

Le Paladin : Devrais-je également récompenser le diable pour ces méfaits ?
Hors de ma vue mécréant ! ...et n’oublie pas ta parole, ou j’oublierais à mon tour ma miséricorde.
 

 

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